« Maître… votre cliente ! »

Je me retourne. Je la vois, quelques mètres derrière moi, assise sur le banc des victimes, qui s’effondre, en larmes. Je me précipite.

Les membres qui composent la Cour d’Assises. (N.B : La Cour -c’est-à-dire les trois magistrats professionnels, dont le Président- et les Jurés, c’est-à-dire des citoyens tirés au sort sur liste électorale).

Encore placés sur leurs fauteuils, avec juste devant eux ce grand bureau de bois, qui les sépare du reste de la salle d’audience.

Le verdict vient de tomber, le Président vient à peine de terminer son annonce.

Elle pleure. De soulagement, de joie, je ne sais pas trop et je crois qu’elle non plus. Les larmes sortent, les larmes coulent, elle est secouée de spasmes.

Il y a tant d’émotions. Il y a eu tant d’émotions pendant 48h de procès. Pendant ces 4 années de procédure.

Car être victime d’une infraction sexuelle, outre la violence indescriptible de ce que vous avez subi, et le traumatisme important qui en découle, c’est également entamer un long et difficile « parcours judiciaire du combattant. »

Pour la victime c’est souvent un long chemin d’errance, semé de honte, de culpabilité, de salissure, de n’être rien…..

Il faut d’abord trouver le courage de déposer plainte, comme ma cliente l’a fait, un jour de mars, en 2017.

C’est après ce dépôt de plainte que le processus judiciaire va se mettre en place. (N.B : parfois, le dépôt de plainte n’est pas nécessaire, l’infraction est portée à la connaissance du Procureur de la République par un autre biais).

Les victimes ne s’y attendent pas, et si elles n’ont pas déjà été voir un avocat : elles sont seules.

Elles doivent se rendre au CAUVA (Unité d’accueil d’urgence des victimes, au sein du CHU de Bordeaux-PELLEGRIN) où elles subissent un examen gynécologique.

Il faut ensuite se rendre devant la psychologue du CAUVA, pour un entretien.

Malgré toutes les précautions et la bienveillance apportée par les soignants, dont je salue le travail extraordinaire, une telle démarche est souvent difficile pour les victimes.

Elles doivent prendre un traitement préventif contre les maladies sexuellement transmissibles.

Elles doivent ensuite prendre un traitement d’urgence pour éviter une grossesse.

Parfois, il faut retourner au commissariat pour subir une confrontation, se retrouver dans un petit bureau à côté de son agresseur, moins de 48h après les faits (si l’auteur a en effet été rapidement placé en garde à vue, pour ce type de faits, la durée de cette dernière est de 24h renouvelable une fois soit 48h).

Les victimes doivent répondre aux questions posées d’un interrogatoire à un autre, d’une audition à une autre, d’une expertise à une autre… il s’écoule des mois entre une audition et une autre, des mois durant lesquels, si elles n’ont pas de conseil, elles n’ont souvent aucune nouvelle, elles ne savent pas ce qu’il se passe.1

Il faut raconter ce qu’il s’est passé aux policiers ou gendarmes qui interviennent sur les lieux, et les équipages sont souvent uniquement composés d’hommes.

Il faut ensuite raconter au policier (ou gendarme) qui prend la plainte, qui est encore une autre personne que celles qui sont intervenues sur les lieux.

Il faut raconter aux services de police ou de gendarmerie. Au médecin du CHU. Au médecin du CAUVA. A la psychologue du CAUVA.

Il faut raconter au juge d’instruction. A son médecin traitant. A son gynécologue bien souvent. A son avocat.

Et puis quand on arrive jusqu’à une Cour d’Assises, il faut encore le raconter devant les Jurés, livrer les détails de sa vie intime devant des inconnus.

C’est une épreuve l’audience, c’est le lieu où les paroles s’entrechoquent. Et c’est terrible cette épreuve pour une victime.

Et après l’audience, le chemin est loin d’être fini : il va encore y avoir des embûches.

Mais ça, ma cliente n’y pense pas aujourd’hui (*et le sujet fera l’objet d’un prochain billet).

D’ailleurs, même si j’ai déjà évoqué « la suite » et « l’après » avec elle, ce qui compte pour elle, c’est aujourd’hui.

Aujourd’hui, ou le peuple français a condamné son agresseur, et a reconnu sa qualité de victime.

Alors, à l’annonce du verdict, ma cliente s’effondre. Il peut continuer à nier : la Justice a été rendue.

Elle me serre dans ses bras. Je ne m’y attendais pas du tout. Et je la serre également. Pendant 2 jours, nous avons œuvré dans un parfait duo. Pendant 4 ans, nous nous sommes apprivoisées, nous avons discuté, travaillé. Pendant 4 ans j’ai essayé de lui donner les conseils les plus précieux.

Il y a des moments très forts dans la vie d’un avocat.

Ce moment-là, où je lis le soulagement sur son visage en larmes, ce moment où nous nous serons dans nos bras, en fait partie.

Je lui souhaite, de tout mon cœur, de pouvoir reprendre le cours de sa vie, et de s’épanouir le plus possible.

Prenez soin de vous.

✊🏽🌈☀️💛

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